Ce dimanche 9 mars, à mon arrivée à la Treille sud, j’ai du mal à reconnaître les AN tant ils sont jeunes et nombreux1. Il faut dire que Michel a su les appâter avec son annonce racoleuse : « rando 4 à 5 heures – dénivelé 450 m – lampe électrique nécessaire pour dénicher le ZIBOU ».

Après les présentations, nous démarrons tout guillerets puis entamons l’abrupte montée qui traverse le village. Chemin faisant les jeunes conjuguent le verbe « baragner » à tous les temps, preuve irréfutable de leur parfaite intégration ; les anciens, eux, regrettent l’urbanisation qui contrarie notre itinéraire. En 1904, déjà, Joseph, le père de Marcel, dénonçait « cette société absurde » où quatre ou cinq grands propriétaires imposaient à sa famille un immense détour pour atteindre « l’asile des vacances ». Il expliquait à son épouse Augustine que « dans la société future, tous les châteaux seraient des hôpitaux, tous les murs seraient abattus et tous les chemins tracés au cordeau. »2

Peu avant la sortie du village, au dernier croisement, Michel fait une halte et distille sa culture géologique et pagnolesque à l’intention des jeunes, supposés ignorants. Mais nous ne verrons pas la « Bastide Neuve… neuve depuis bien longtemps… où commencèrent les plus beaux jours de la vie »² de Marcel, ni la maison de Lili, son « petit frère des collines »3, car nous laissons sur notre gauche le chemin des Bellons et nous dirigeons vers leur terrain de jeu par le frais et ombragé vallon de Passe-Temps.

Notre savant guide répertorie les sommets de la région puis, avec outrecuidance, s’attaque au Kilimandjaro. Il est alors mouché par une jeunette et en perd l’usage de la parole pour le reste de la matinée…

Nous quittons le vallon et commençons la pénible ascension du Taoumé sous un soleil estival. Notre expérience et notre endurance compensent la fougue des petits nouveaux qui nous avaient distancés dans le vallon. Tête baissée, d’un pas régulier, je suis consciencieusement le rocailleux tracé jaune, il s’enfonce tout à coup entre un buisson et le bas de la falaise et je découvre l’entrée de la grotte du GROSIBOU où j’attends le reste du groupe. A mon grand étonnement, Michel évite le sentier et se dirige en courant vers le pic du Taoumé.

Nous voici maintenant tous (sauf un) là où pour échapper à la rentrée des classes, à neuf ans et demi, Marcel avait décidé de se faire « hermitte », de déloger « les GROSIBOUS »… « d’expliquer à ces volailles que la grotte a changé de locataires »3.

Michel, dépité d’arriver le dernier à la grotte, improvise une initiation spéléo. Car en réalité : « Cette grotte, ça traverse. C’est un passage sous le Taoumé… c’est un grand secret. Il y en a que trois qui le savent : Baptistin, mon père et moi. Avec toi ça fait quatre. » 3

Nous gagnons ensuite la Baume Sourne4 constellée de petites bougies révélant un plafond couvert de stalactites. Nous y croisons des vététistes épuisés, à la recherche d’indices.

Nous déjeunons non loin de l’agréable clairière du Puits du Murier, sur un épais tapis de piquants, agrémenté de quelques fourmilières qui ne troubleront pas la longue sieste des uns ni la partie de cartes des autres.

L’après-midi commence par une « montée presque plate »5 jusqu’au Plan de l’Aigle et une descente tout aussi plate jusqu’au col de Garlaban. De là, les plus vaillants se hissent à la croix qui coiffe le sommet du Garlaban  qui n’est « pas une montagne mais… plus une colline »². Grâce à une magnifique table d’orientation en pierre de lave, nous identifions maintenant les reliefs avec certitude : pic de Bertagne, Sainte Victoire, Pilon du Roi, Taoumé, Tête Rouge… Michel cherche toujours le Kilimandjaro, cette pathologie se nomme, je crois, la folie des cimes (à vérifier auprès de Francine).

De l’interminable descente jusqu’à la Treille, je ne me souviens plus que des pierres qui roulent sous les semelles, de la vue sur le Phare du Planier remarquée par Mireille et du gouter bis à la grotte de Manon, sorte d’excavation naturelle protégée par un auvent de roches plus dures ayant résisté à l’érosion (c’est ce que j’ai retenu des explications de Christophe).

Au petit cimetière de la Treille, quelques AN se recueillent sur la tombe de Marcel ou celle de Lili, mort à la guerre à vingt ans « dans une noire forêt du Nord… tombé sous la pluie, sur des touffes de plantes froides dont il ne savait pas les noms… »3.

Arrivés aux voitures, jambes surchauffées et esprit léger, le GPS nous révèle une distance parcourue de plus de seize kilomètres et, comme d’habitude, un dénivelé de plus du double de celui annoncé.

Grand merci à Michel, cette randonnée m’a replongée dans les livres de ma jeunesse pour faire revivre, sur les paysages dénudés que nous avons traversés6, « l’épaisse pinède du Taoumé… les térébinthes pleins d’oiseaux »3, les bartavelles…

Michèle

  1. 23
  2. La Gloire de mon père – Marcel Pagnol
  3. Le Château de ma mère – Marcel Pagnol
  4. Grotte obscure
  5. Michel dixit
  6. Les collines de Marcel ont été ravagées par de nombreux incendies successifs, mes recherches m’ont permis de retrouver la trace de ceux de 1997 (3000 ha brulés), 1979 et 1982.

 

garlaban_001.jpg garlaban_002.jpg garlaban_003.jpg garlaban_004.jpg garlaban_005.jpg
garlaban_006.jpg garlaban_007.jpg garlaban_008.jpg garlaban_009.jpg garlaban_010.jpg
garlaban_011.jpg garlaban_012.jpg garlaban_013.jpg garlaban_014.jpg garlaban_015.jpg
garlaban_016.jpg garlaban_017.jpg garlaban_018.jpg garlaban_019.jpg garlaban_020.jpg
garlaban_021.jpg garlaban_022.jpg garlaban_023.jpg garlaban_024.jpg garlaban_025.jpg
garlaban_026.jpg garlaban_027.jpg garlaban_028.jpg garlaban_029.jpg garlaban_030.jpg
garlaban_031.jpg garlaban_032.jpg garlaban_033.jpg garlaban_034.jpg garlaban_035.jpg
garlaban_036.jpg garlaban_037.jpg garlaban_038.jpg garlaban_039.jpg garlaban_040.jpg
garlaban_041.jpg garlaban_042.jpg garlaban_043.jpg garlaban_044.jpg garlaban_045.jpg
garlaban_046.jpg garlaban_047.jpg garlaban_048.jpg garlaban_049.jpg garlaban_050.jpg
garlaban_051.jpg garlaban_052.jpg garlaban_053.jpg garlaban_054.jpg garlaban_055.jpg
garlaban_056.jpg garlaban_057.jpg garlaban_058.jpg garlaban_059.jpg garlaban_060.jpg
garlaban_061.jpg