LES VISITEURS

(Week-end cyclo à Rustrel - 1-2-3 avril 2022)

 [ Les photos ]

Participants : Mireille, Clara, Christophe, Hélène, Jean-François, Patricia, Francis, Jean-Claude, Marie-Pierre, Alain, Michel, Michèle V., Jacques et la participation exceptionnelle de Sylvie Mahieu.

Les présages ne s’avéraient pas favorables. On aurait dû se méfier. Le printemps -encore une fois trop précoce- balayé par un retour impitoyable de l’hiver. En moins de vingt-quatre heures la température chutait de vingt degrés, avoisinant le zéro, le vent se mettait à souffler à plus de cent à l’heure, la pluie -absente depuis près de deux mois- accueillait ce premier matin d’avril. Poisson d’…? Non. Irruption dans nos seigneuries du Vaucluse d’individus venus d’une autre région, d’un autre temps, d’une autre époque : des cyclistes marseillais (1) ! Quand on vit comme nous dans ces terres bénies du nord Luberon, toute intrusion, même si nous l’avions suscitée, bouleversait les éléments. D’où cette anomalie météorologique soudaine. Provoquée par ces « visiteurs ».

Peut-être la Duchesse Michèle de Robion et le Comte Jacques de Rustrel (puisque c’est d’eux qu’il s’agit) auraient dû y réfléchir à deux fois avant d’inviter les roturiers de la pédale sur leurs terres.

Nos nobliaux locaux s’étaient pourtant réparti le séjour, la région et les parcours afin d’éviter que les mauvais esprits des cyclistes manants ne s’émeuvent devant tant de richesses patrimoniales naturelles, eux qui vivent le reste du temps dans une région marseillaise où les quelques rares terres encore en friche résistent tant bien que mal au brouillard des raffineries, aux tarmacs envahissants des aéroports, aux rosaces inéluctables des autoroutes, au foisonnement anarchique des lotissements trop alignés.

Ouvrir un espace-temps de nature aux visiteurs n’était pas sans risque de provoquer envie ou jalousie chez ces gilets jaunes de la Petite Reine.

Ainsi, tels des candidats à une élection présidentielle, nos propriétaires terriens avaient-ils décidé de ne dévoiler leurs patrimoines que progressivement, la duchesse organisant le parcours du premier jour à travers les contreforts du Luberon nord traversant les villages d’Oppède, Maubec, Ménerbes, Lacoste et jusqu’en la cité d’Apt, le comte devant assurer le relais pour gagner Rustrel, via Villars.

        Pour preuve du peu de cas donné à l’étiquette, la duchesse de Robion ouvrait les portes de sa somptueuse propriété aux cyclistes en herbe, ceux-ci pouvant laisser leurs montures mécaniques dans les jardins d’icelle. L’on cheminerait durant ces trois jours à vélo, et à vélo uniquement, en une folle chevauchée itinérante. Le bon comte de Rustrel (les bons comtes faisant les bons amis) poussant même la mansuétude à venir jusqu’à Robion avec sa fidèle Kangoo pour délester le peloton de ses affaires de couchage afin de ménager les montures. Il était prévu qu’il retournerait prestement sur ses terres et rejoindrait le groupe à vélo, probablement vers Lacoste.

Malgré le désir des deux parties, vauclusienne et buccorhodanienne, de co-cycler dans la joie, une forte averse, une température chutant d’heure en heure et un vrai-faux mistral se renforçant à l’envi eurent raison des beaux projets de cohabitation. Il fut donc décidé, aussi bien par les nobles résidents que par leurs visiteurs de surseoir à l’itinérance de la randonnée, d’annuler la partie luberonnaise de la duchesse et de filer dare-dare vers le château du comte de Rustrel où la petite troupe prit possession plus tôt que prévu du gîte douillet que leur avait préparé Scaramuccia, l’âme damnée du comte.

Scaramuccia. Personnage tout droit sorti de la commedia dell’arte, capitan vantard et fanfaron, sympathique mais un peu envahissant toutefois. Jean-Marie Scaramuccia, gardien du gîte de Rustrel depuis 30 ans ce jour, qui avait même préparé le champagne pour fêter l’événement à l’apéro du soir. Jacques de Rustrel, grand seigneur pas en reste, ouvrant également sa cave pour les réjouissances populaires.

Mais avant l’heure de l’apéro, une sortie fut tentée dans la plaine de Saint Saturnin pour tester la résistance des visiteurs au vent violent. Las ! Celui-ci eut raison de quatre d’entre eux à peine avalés les cinq premiers kilomètres : aux abords de Villars, le groupe se scinda, les quatre abandons concernant, il faut le préciser à leur décharge, quatre des visiteurs non adeptes de l’assistance électrique. Le reste du groupe, bravant la tempête, parvint à boucler un circuit d’une quarantaine de kilomètres à travers les vergers en fleurs d’un souvenir de printemps.

A leur retour, le volubile Scaramuccia ne put que s’émerveiller du courage des visiteurs, lui qui, ancien cycliste aux performances improbables, aujourd’hui invalide du fait d’une blessure musculaire incurable, devait se contenter de faire la cuisine, fort bonne, pour tous les groupes fréquentant le château de Rustrel. Nous eûmes aussi la surprise de retrouver au coin de la cheminée monumentale de cet édifice du XVI° siècle Dame Mahieu, venue en voisine partager notre petit séjour.

Après force libations au champagne (que tous apprécièrent bien que certains gueux commençassent à jaser sur la possible fortune « cachée » du comte, supputant que ce nectar divin devait constituer la partie émergée de quelque iceberg de richesse prudemment dissimulée), Scaramuccia régala l’assistance d’un banquet de salade du jardin, de force viandes déglacées (un peu trop) au vinaigre balsamique, d’un plateau de fromages de région servi par une hôtesse néanmoins belge et d’une Tropézienne « picarde » - du nom d’une célèbre chaîne. Le tout émaillé d’anecdotes interminables de l’impayable (mais qu’il faudrait pourtant payer) … Scaramuccia (le petit personnel n’étant plus ce qu’il était, le comte devrait tout de même faire preuve d’un peu plus d’autorité, mais, depuis 1789, la noblesse n'est plus ce qu’elle était).

Finalement, la panse repue mais les muscles peu fatigués, chacune et chacun regagnèrent leurs chambres, qui dans la tour principale de l’édifice, qui dans l’annexe digne d’un Petit Trianon.

Il est à noter cependant que si la Duchesse Michèle de Robion accepta de partager une chambre avec la roturière Mireille, le comte de Rustrel, lui, regagna sa dépendance de Brieugne où il dormit, seul, loin des ronflements du peuple. L’Histoire jugera.

En le lendemain, ce samedi le deuxième de l’Avril, la neige était tombée. Oh ! Pas grand-chose, une fine pellicule vite évaporée des toits de tuiles du village. Pourtant au loin sur le Grand Luberon, les forêts de cèdres, pins et chênes conservèrent une parure blanchâtre une bonne partie du jour. Le mistral, peu enclin à la grasse matinée, se leva, lui aussi de bonne heure. Comme la veille, il ne lâcherait pas prise, bien au contraire. Le circuit prévu sur les terres du comte passant par Saint Saturnin, Lioux, Roussillon et Gargas (50 km, 4 pédales) s’avérait périlleux avec le vent de face la plupart du temps.

        Pourtant, au château, tout le monde était levé et sur le pied de guerre. Tous prêts à partir à l’assaut, au grand dam de Scaramuccia, pensant nous revoir encore plus tôt que la veille et cherchant avant tout à nous vendre son vélo, orphelin depuis que l’infortuné ne pouvait plus s’attaquer au Ventoux.

        Le comte Jacques, en accord avec la duchesse Michèle, décida donc de ne rien changer au parcours, devant l’enthousiasme, inconsidéré, des « visiteurs ».

        Parmi ces visiteurs, on remarquait l’un d’eux, qui avait fait peu de bruit jusqu’alors, mais qui allait s’avérer par la suite le meneur d’une possible « jefferie ». L’individu, justement surnommé Jeff, facilement reconnaissable au fait qu’il circule sur un tandem flanqué de sa femme, Hélène, qu’il force à pédaler pour lui. Il est toutefois impossible de dire lequel des deux profite de la force motrice de l’autre. Le tandem implique la solidarité, la dépendance, une unité parfaite, ce qui laisse supposer que le dit-Jeff est certainement un meneur d’hommes (ou de femme) redoutable. De plus, l’individu vérifiait systématiquement sur son GPS le parcours proposé par le seigneur du coin, allant même jusqu’à conseiller des détours insoupçonnés comme s’il connaissait mieux que son propriétaire les terres traversées. Était-il en train de fomenter une révolte, une révolution ? Les propos tenus par icelui le dernier jour, de même que sa volonté à visionner à tout prix sur son smartphone un meeting d’un certain Macron, un individu républicain peu prisé du comte, tendent à confirmer cette hypothèse révolutionnaire. Toujours est-il, qu’en milieu de journée, peu avant d’attaquer la descente sur Lioux et après que le groupe se soit éreinté contre le vent et la température glaciale toute la matinée, le dit, Jeff et sa femme imposèrent à tous un changement de parcours. Était-ce le froid, mordant, le vent, d’une violence à jeter à terre quiconque ne pédalait pas assez vite, ou bien le défilé interminable d’une cinquantaine de Ferrari frôlant toute la matinée le peloton dans leurs vrombissements infernaux qui provoquèrent cette décision ? Jacques de Rustrel céda (une fois n’est pas coutume) à la vox populi. Peut-être par cette concession entendait-il faire oublier ce défilé de voitures de sport de nobles de la région, complices possibles du comte ? Toujours est-il que les visiteurs, frigorifiés, épuisés, commençaient à jaser de plus en plus sur l’indécent patrimoine du seigneur de ces lieux obstiné à faire visiter l’étendue de ses terres. Jeff profita de sa nouvelle aura auprès de ses compagnons d’infortune pour prendre définitivement les rênes du groupe et improviser un magnifique parcours sur des petites routes entre vergers et bâtisses provençales dont le comte, décidément hautain et méprisant sous des couverts « ami du peuple », ignorait manifestement l’existence : le pouvoir éloigne des réalités.

        Cette mini-révolution fut donc bien accueillie et, après un pique-nique avalé en vitesse dans un champ à la beauté plus qu’anonyme, l’on put rentrer vers Rustrel, le vent dans le dos, par un itinéraire des plus charmants évitant les grands axes et leurs cortèges de Ferrari.

        De retour au château, Jacques proposa un apéro chez lui, à Brieugne, dans le but de retrouver les faveurs du peuple. Peuple qui poussa la générosité à ne pas arriver les mains vides et débarqua chez le propriétaire terrien avec force offrandes apéritives. Celui-ci eût alors le mot malheureux suivant : « désolé ! Je n’ai que du champagne ! » Cette assertion, aussi maladroite que celle de Marie-Antoinette répondant au peuple réclamant du pain : « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche ! » ne tomba certainement pas dans l’oreille de sourds : oui, le comte était bien un privilégié de vivre ici et ce n’est pas parce qu’il avait ouvert ses jardins à « ses sujets » que l’on ne lui tiendrait pas rigueur de l’étalage de ses richesses.

       

        Le lendemain, dimanche, devant la persistance d’une météo hérétique, Jacques proposa de remplacer le vélo par une petite randonnée dans le Colorado. On accepta, certains de découvrir encore des preuves à charge contre le noble capitaliste. Effectivement, dès les abords du Colorado, ce magnifique paysage aux cheminées de fée en ocre, les gardiens du lieu interpellèrent le groupe : il fallait payer pour entrer ! Qu’à cela ne tienne, le comte se fit connaître et les manants se répandirent en courbettes ! Décidément le prétentieux individu avait tous les droits sur ses terres – il fut d’ailleurs contraint d’avouer l’existence de nouvelles propriétés non déclarées dans le dit-Colorado -.

        Jeff, le meneur de la « jefferie », se frottait les mains. Il avait réussi en un week-end à demeurer le leader des sorties vélo du club en démasquant ces impudiques vauclusiens de petite noblesse pédalière. Oui, lui, l’insoumis de la pédale confortait ainsi le pouvoir du peuple face à l’arrogance du grand capital.

        On remercia quand même Michèle V. et Jacques C. de la tenue de ce week-end au cours duquel, malgré les conditions, météo et autres, le sens d’ « Amitié et Nature » se trouvait une fois de plus renforcé.

        On se promit de revenir à l’automne pour un nouveau séjour, pédestre celui-là, au moment où la Nature se pare de ses ors. Généreuse et sans calculs. Une Nature à placer au-dessus de tout intérêt.

(1)  En réalité une certain « Jean-Claude » ne venait pas de Marseille, mais du sud Luberon. Toutefois, cette montagne constituant une barrière naturelle, il n’est pas de mise de confondre les seigneuries du nord et du sud. D’autant qu’en la circonstance ce sont bien Michèle et Jacques qui invitaient sur leurs terres. Espérons que dans un avenir proche, notre « baron » du sud Luberon saura nous concocter un nouveau circuit sur ses terres. Qu’il se le dise !

Jacques                                

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Les apéros et les départs en vélo

 

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Dehors à vélo

 

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Dans le Colorado

 

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